C’est notre première interview d’un auteur et c’est au final un petit recueil de nouvelles que Charles nous a conté. Poétique, décoratif, parfois paisible parfois agité, toujours passionné… La lecture de ses réponses nécessite de se mettre dans des conditions appropriées à la délectation des mots et des sentiments. Pour y succomber pleinement… et pour y obtenir des conseils de l’auteur.
Nous ne multiplierons pas les interviews. Mais nous essaierons de temps en temps de vous faire pénétrer l’espace secret des pensées de certains écrivains.
Pour ceux qui ne le connaissent pas, Charles Dellestable est le gagnant du Prix Nouveau Talent 2013 organisé par la Fondation Bouygues Telecom. Son roman qui a séduit la maison d’édition JC Lattès : Paradis 05-40.
Notre première question à Charles :
On dit souvent qu’il faut se créer son univers et s’y plonger afin de pouvoir écrire. Pour le fondateur de Co-libr-e, c’est dans un café de la butte Montmartre, car à la maison, cela lui est impossible. Avez-vous un lieu de prédilection, un rituel pour écrire ?
Sa réponse (brute) :
Tout dépend du type d'écriture dont vous parlez. J'établis trois degrés d'écriture - voire quatre dans les meilleurs jours - et en fonction de ces degrés, les lieux sont diamétralement opposés.
Degré un (l’association de deux ou trois mots, la vision d'une scène, la fulgurance d'une idée, la jouissance d'une petite phrase qui sonne bien, nourrie de sa seule coquetterie d'être jolie et qui mourra décapitée par la suite) : Alors non, il n'y a pas de lieu de prédilection. C'est dans mon lit, en pleine nuit, et mes acteurs secrets me jouent leurs scènes avec tant de conviction que j'en allume ma lampe et griffonne sous la dictée ouatée de leurs fantômes, leurs répliques si convaincantes. C'est devant ma tasse de café, parce qu'une chanson m'a inspiré une émotion de cinq mots. C'est en pleine rue : je m'arrête et j'écris sur mon carnet à spirales, appelé « Mon bribiaire ». C'est en plein carrefour à l'heure de pointe, pendant que ces idiots klaxonnent puisqu'ils ne comprennent rien à l'écriture. C'est au self parce que derrière moi, j'ai entendu la plus jolie phrase de la journée.
Degré deux : je m'assois et je gratte des pages et des pages sans discontinuer, à partir d'une bribe (voir Degré un) ou à partir d'une idée qui m'est venue et que je dois coucher, dans des cahiers à grands carreaux, (premier prix chez Leclerc – mes préférés) où je ne respecte ni marge ni espace. C'est dans un train, une bibliothèque, dans un silence souhaité. Jamais un café, il y a trop de vies à capter autour de moi. C'est une écriture au kilomètre. Mais j'hésite à chaque fois sur le crayon que je vais employer : crayon à papier, bille ou plume ? C'est selon l'inspiration.
Degré trois : c'est chez moi, toujours dans mon bureau, en silence total, avec mes cahiers raturés sous les yeux. Tôt le matin, et dès que je le peux, durant de longues après-midis. Jamais tard le soir : je suis une loque dès vingt-deux heures. Je commence à dactylographier ce que j'ai écrit spontanément, et cela devient un plan sur lequel je m'appuie pour ne pas m'échapper des rails, enfin, pas trop. A partir d'un paragraphe de cinq lignes, je peux accoucher de quatre pages. L'inverse est vraie également. J'ai toujours un dictionnaire à portée de main, un autre de synonymes et bien sûr, un troisième de conjugaisons et parfois, en guise de récréation, je me surprends à redécouvrir de délicieux subjonctifs plus-que-parfait, pour échapper à mes personnages qui me fatiguent... Je chipote, j'efface, je cherche le terme exact, j'inverse les phrases, les paragraphes, je supprime. Le choix d'un mot peut me désespérer et si aucun ne me convient, c'est que la phrase est mauvaise, c'est tout. Basta !
Degré quatre : l'extase. Toujours chez moi. Toujours en plein silence. Malheur à celui qui sonne ou téléphone, je serais prêt à me brouiller à vie. Mon texte est bouclé : je chasse le point, la virgule, je change un adjectif, je reviens sur un mot qui avait pourtant reçu mon aval quelques semaines auparavant, et tous mes acteurs jouent leurs rôles uniquement pour moi. Pour la dernière fois.
NB : je ne peux travailler à mon bureau que si toute la maison est impeccablement rangée, du sol au plafond. Ne voyez pas là un t-o-c, mais la seule façon que j'ai trouvée d'échapper à la procrastination au motif qu'il y a du linge à repasser ou l'aspirateur à passer. La maison nette, je n'ai aucune excuse pour fuir mon bureau sous un fallacieux prétexte ménager.